Vol, s'envole...

Trop éloigné de la ville, dépourvu d’attractivité touristique et desservi par un réseau routier à la limite de l’indigence, le petit village de Bontigné coule des jours tranquilles à l’écart de l’agitation citadine.
La chaleur de l’été caniculaire retient la plupart des habitants derrière les murs protecteurs de leurs maisons. Les agriculteurs, levés tôt le matin pour profiter de la relative fraîcheur apportée par la nuit, ont regagné leurs habitations dès les plus grosses chaleurs.
Dans le café-bar d’Angèle, la télé du comptoir débite la météo devant une assistance réduite. L’avis de tempête sur « le centre de la France » attire à peine l’attention des quelques clients. La région Saumuroise n’est pas coutumière des évènements climatiques intenses et la confiance en la météo nationale reste relative. Néanmoins, Paulette, venue chercher son pain, annonce à la cantonade qu’elle va rentrer ses géraniums à l’abri de la véranda. Cette information majeure ne semble guère perturber les joueurs de belote car Molineux jubile en annonçant "belote-rebelote et dix de der ».

L’indifférence ne suffit pas à repousser l’inéluctabilité des éléments et en fin de journée, le vent se lève insidieusement, soufflant par d’abord par mini bourrasques. Dans la soirée il prend de la force pour devenir la véritable tempête annoncée par la météo.
Les champs de blé frémissent d’abord puis se couchent sous les rafales de vent. Dans les bois, les craquements des branches qui cèdent sous les bourrasques violentes sont bientôt couverts par le bruit de l’orage tonnant dont les éclairs déchirent la campagne de zébrures furieuses. Un déluge s’abat bientôt sur la campagne vallonnée, couchant les cultures, débordant des fossés, inondant les chemins et les routes. La tempête déchainée tournoie autour de Bontigné pendant deux heures, s’apaisant quelques minutes pour reprendre avec plus de force encore. Puis les éléments se calment lentement laissant place à une pluie tranquille qui trempe les ombres quittant l’abri des maisons.

Au « Café de la Place » les habitués sont réunis, comme souvent le matin. Cafés chauds et « petits blancs » s’y côtoient comme d’habitude. La conversation roule sur les ravages de la tempête.
- « Mes vignes sont ravagées » annonce le viticulteur
- « Ma roseraie est détruite à demi » rétorque le rosiériste
- « Mes serres sont envolées » gémit le maraicher
- « Le toit de mon hangar à semences s’est envolé» se désole l’agriculteur
Tous ont des raisons de se lamenter mais ils se tournent vers Bernard qui semble aussi affligé qu’eux
- « Ben Bernard… toi qui habites des troglo, tu ne dois pas avoir beaucoup souffert de la tempête ! » s’étonne Angèle.
- « Moi, c’est ma prime annuelle qui vient de s’envoler » rétorque l’assureur.

ED