Phrase imposée :
« La maison avait des volets bleus »
LA MAISON AVAIT DES VOLETS BLEUS
Un homme, jeune encore,
Ferme les volets doucement,
Comme on clot les paupières d’un défunt.
Puis de la bâtisse, il se détourne vivement,
Sans regrets, sans remords.
Et vers la ville, prend son essor. Enfin !
On ferme les vannes du mur gigantesque.
La Romanche bute sur l’obstacle titanesque
La frêle rivière s’étale, momentanément domptée
Puis enfle et gonfle lentement, puissamment,
Submergeant les trois hameaux désertés
Et le fond de la vallée par un lac triomphant.
Un toit de tuiles sombres
Coiffe d’un accent circonflexe
Les vieux murs éventrés.
Dans le silence et la pénombre
Une truite perplexe
Glisse dans l’escalier.
Maints carpillons d’argent,
Tranquilles ou virevoltant,
Frétillent dans l’âtre glacé,
A tout jamais étouffé
Par le froid linceul liquide
De la modeste Atlantide.
Un nénuphar accueillant,
Enraciné dans la cheminée,
Supporte un crapaud renfrogné
Qui croasse obstinément
Sous le soleil mal luné
D’un printemps hésitant.
Le temps passe sur le barrage.
Qui des ans ressent l’outrage.
On ouvre les vannes, on vide le lac.
Au fond de la vaste et saumâtre flaque,
Il ne reste rien sous la vase. Presque rien
Que le contour de quelques murs indistincts.
Un peu plus loin, un peu plus haut
Sur les murs d’un musée-bistrot
Noires et blanches ou sépia, des photos épinglées
Témoignent des hameaux oubliés.
Au comptoir quelques curieux
Écoutent un petit vieux.
Sa main enserre un verre de Sancerre.
Il hésite, le fragile octogénaire,
Un index arthrosique parcourant
Les clichés d’antan
Puis il chevrote, victorieux :
« Là ! La maison avait des volets bleus… »
Elisabeth D le 25/10/2018
Inspiré par la submersion de trois hameaux par le barrage de Chambon. Pour les curieux :
http://freneydoisans.com/freneytique/historique-sur-le-barrage/